Non-violence ne signifie pas passivité...
Certaines personnes peuvent être choquées que l'on puisse faire le choix de la non-violence face aux situations de violence extrême où d’expression du terrorisme. Il existe parfois une confusion entre non-violence et passivité : faire le choix de la non-violence n'a rien à voir avec accepter passivement la violence et se laisser tuer sans rien dire ou faire... Comme le disait Martin Luther King : “Le pouvoir sans amour est dangereux et abusif, l'amour sans pouvoir est sentimental et anémique. Le pouvoir à son meilleur est l'amour implémentant la demande de justice, et la justice à son meilleur est le pouvoir corrigeant tout ce qui fait obstacle à l'amour.” Marshall Rosenberg, père de la Communication NonViolente, a consacré toute sa vie à partager des clefs permettant de vivre un pouvoir au service de l’amour, transmettant inlassablement une voie spirituelle “d’amour en action” bien éloignée d’une spiritualité “bénie oui-oui” ne prenant pas en compte l’âpreté des réalités de notre quotidien, dans un monde où bon nombre d’êtres humains agissent depuis un lieu qui n’est plus relié à leur coeur et au sentiment d’interdépendance avec tout être humain.
Une des clefs qu’il a transmises, dans cet “amour en action” est "l'usage protecteur de la force" au service de la préservation de la vie : cette capacité à poser fermement des limites lui semblait partie prenante d'une incarnation réaliste de la non-violence. Je lui laisse la parole (extrait de son livre “Les mots sont des fenêtres ou bien ce sont des murs”) : « Certaines situations n’offrent aucune ouverture sur le dialogue. L’usage de la force peut alors s’imposer pour protéger la vie ou les droits de l’individu. Il se peut par exemple que l’une des parties refuse de communiquer ou que l’imminence du danger ne laisse pas le temps de dialoguer. Nous pouvons alors être contraints de recourir à la force. Le cas échéant, on distingue en Communication Non Violente l’usage protecteur de la force de l’usage répressif de la force. L’usage protecteur de la force vise à éviter les dommages corporels ou les injustices, tandis que l’intention de la force répressive est de faire souffrir des individus pour les punir de leurs actes perçus comme des méfaits. Lorsque nous utilisons la force dans un but de protection, nous pensons à la vie ou aux droits que nous souhaitons protéger SANS PORTER DE JUGEMENT sur la personne ou sur son comportement. L’usage protecteur de la force part du principe que c’est essentiellement par inconscience que les individus adoptent des comportements dangereux pour eux-mêmes et pour les autres. C’est donc par l’information et non par la répression qu’il convient d’y remédier. L’inconscience peut se manifester sous diverses formes : a) l’individu ne se rend pas compte des conséquences de ses actes b) il ne voit pas comment satisfaire ses besoins sans porter préjudice à autrui c) il est persuadé d’être « en droit » d’infliger une punition ou une douleur aux autres, sous prétexte qu’ils le « méritent » d) il est prisonnier de ses fantasmes et croit par exemple qu’une « voix » lui a ordonné de tuer quelqu’un L’usage répressif de la force part en revanche du principe que les individus commettent des délits parce qu’ils sont mauvais ou méchants et que, pour y remédier, il faut les contraindre au repentir. Pour les remettre dans le droit chemin, on recourt à l’action répressive, censée 1) leur infliger suffisamment de douleur pour qu’ils comprennent leur erreur 2) les pousser au repentir, et 3) les changer. Or, dans la pratique, la répression parvient davantage à générer de l’hostilité ou à renforcer la résistance aux comportements que nous recherchons, qu’à susciter un repentir et une prise de conscience. » Le fait que je fasse le choix d’un positionnement non-violent ne signifie donc pas que je suis contre un usage protecteur de la force visant à préserver la vie d'êtres souhaitant vivre en paix… J’ai simplement conscience que, lorsque la violence reçue a meurtrie les corps et les cœurs, le risque est grand que nous fassions (ou validions nos dirigeants pour faire) le choix d’un usage punitif de la force, dont je connais les conséquences désastreuses, en termes d’engrenage de la violence… En ce cas, je tente alors de mon mieux de préserver ma capacité à pouvoir : 1) accueillir avec compassion ce que je ressens, en lien avec la violence vécue 2) conserver ma capacité à garder mon cœur ouvert, afin de pouvoir, au-delà des actions tragiques qu’il peut commettre, me relier à ce qui anime un être humain qui fait le choix de la violence 3) poser des actions concrètes au service de la vie (incluant faire un usage protecteur de la force pour la préserver) J’ai l’expérience que, à la seconde où je perds l’une ou l’autre de ces capacités, je commence à entrer dans le champ même de la violence dont je cherche à me préserver… Ainsi, faire le choix de la non-violence n’est pas synonyme de passivité, mais bien du refus de poser certains actes depuis le même lieu que la violence que nous ne voulons pas vivre. Etre ferme et poser des limites font intégralement partie de la non-violence que nous a partagée Marshall Rosenberg et sont être triplement au service : - de celui/celle dont nous cherchons à préserver la vie - de celui/celle envers qui nous exerçons cet usage protecteur de la force, car nous l’empêchons de faire quelque chose qu’il regrettera toute sa vie, une fois reconnecté à son coeur - de nous-même, car si je laisse quelqu’un porter atteinte à la vie d’un être humain, je risque de perdre tout respect de moi, tout amour de moi. Ultimement, je pourrais faire le choix de me couper de mes émotions, de mon coeur, entrant ainsi dans la zone dangereuse où un être humain, lorsqu’il est coupé du vivant qui le traverse, peut devenir capable de porter atteinte à la vie d’autres êtres humains. Par ma passivité, je cours le risque de devenir le type d’individu dont je condamne les actes aujourd’hui.
J’espère que cet article apportera de la clarté sur la non-violence active que je choisis de vivre et s’il vous incite à en savoir plus sur cette approche, ma joie sera grande.